Échos d'Évangile

Un Dieu dangereux

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

13 décembre 2023

Crédit photo : Paul Einerhand  / Unsplash

La péricope traitée le mois dernier appelait à révéler au grand jour la perversité du système. Peut-être ce dernier verrait-il sa propre faillite humaine, s’en repentirait-il et échapperait-il au grand dévoilement de la fin.

Mais l’espoir est bien mince, et les chances sont plutôt qu’il se retourne contre ceux et celles qui l’auront contesté. Et c’est bien ce qui arrive, malheureusement. Aussi, la Source adresse-t-elle l’exhortation suivante aux siens, une péricope (Q 12,4-7) en deux morceaux.

 

Q 12,4 Ne craignez pas ceux qui ont le pouvoir d’assassiner le corps, mais pas celui d’assassiner la vie.

5 Craignez plutôt Celui qui peut détruire et la vie et le corps dans le Dépotoir.

6 Ne vend-on pas deux moineaux pour un sou? Il n’en tombe pourtant pas un sur terre sans que votre Parent ait son mot à dire.

7 Même les cheveux de votre tête sont tous comptés.

Ne craignez donc pas, vous avez plus de valeur que d’innombrables moineaux.

 

1. Dans le premier morceau (vv 4-5), le plus significatif, la Source parle d’un système dangereux, parce qu’il a le pouvoir de vie et de mort. Il se trouve donc un double appel dans le verset d’ouverture, soit de reconnaître, d’abord, la dangerosité des grands, et ensuite de ne pas en avoir une peur paralysante.

Commencer par reconnaître le danger. C’est que, la plupart du temps, ce dernier n’est pas évident puisque le puissant sait se présenter sans laisser paraître ses intentions. Il s’habille de façon respectable; il se dit au service de l’intérêt national; il prétend défendre les frontières ou la culture; il se sert de services secrets pour effectuer ses basses œuvres; il utilise des drones pour assassiner les gens sans se salir les mains, des mines anti-personnel pour les faire sauter de façon anonyme, des bombes pour les massacrer vertueusement; il fait miroiter de bons salaires pour se permettre de détruire la nature; il se sert d’avocats véreux et de législateurs complaisants pour faire taire la justice, avantager ses droits et faire dérailler la procédure, le temps que se découragent ou ne meurent ceux et celles qui cherchaient justice.

Au service de plus puissants qu’eux, nos dirigeants ont laissé ces derniers polluer notre eau, notre air et notre terre; ils leur ont permis de remplir notre espace vital de leurs produits nocifs, lesquels sont à l’origine de nos cancers, de nos allergies, de nos maladies respiratoires, de nos crises cardiaques, de nos troubles psychiques, etc. Le comportement des femmes et hommes de pouvoir d’aujourd’hui se situe dans la ligne directe de celui de leurs prédécesseurs de jadis. Ils peuvent nous tuer, et ils le font. Oui, ils ont bien le pouvoir d’«assassiner le corps». Mais ce ne sont pourtant pas eux qui nous font courir le plus grand danger. Paradoxalement, notre pire ennemi, c’est Dieu, le Parent!

Évidemment, la Source s’explique : c’est que «Celui-là peut détruire et la vie et le corps dans le Dépotoir» (v 5). Ce bout de phrase, qui témoigne d’une foi d’origine galiléenne, mérite attention. La Source voit la vie de la même manière que le rédacteur principal de l’évangile de Jean : la seule chose qui importe pour l’être humain, c’est de vivre authentiquement, et quiconque aura vraiment vécu va passer vivant à travers la mort. Ici, cependant, la Source présente l’autre côté de la médaille : «Celui»-là a le pouvoir de détruire radicalement une vie qui n’a pas de sens. C’est là le grand danger, perdre soi-même sa propre vie, et devenir tellement insensé qu’il ne reste plus rien de valable que le Parent pourrait faire passer à travers la mort. Il ne peut que détruire ce qui ne porte plus les marques de la vie humaine, ayant le pouvoir de mener à terme le mécanisme de destruction que j’aurai moi-même enclenché contre moi. Très dangereux.

2. Le second morceau (vv 6-7) se présente comme une illustration du sens du premier. La vie est toujours là, mais la mort aussi. Il y a plein d’oiseaux vivants qui témoignent de la providence de Dieu, mais il s’en trouve aussi qui se font piéger et ne valent plus grand chose; les têtes sont pleines de cheveux, mais il y a de ces derniers qui tombent. Comme tous les vivants, les lectrices et lecteurs de la Source sont en danger, mais ils n’ont pourtant pas à s’en faire. À cause des choix qu’ils ont faits, leur vie a de la valeur aux yeux de leur Parent, et, si leur corps est menacé de mort, leur vie, elle, ne l’est pas. Croire cela, pour avoir résisté aux humains de pouvoir, c’est avoir la foi.

Je me permets une dernière remarque. La Source hiérarchise la valeur des êtres. Un cheveu, un oiseau, un humain. Chacun est un vivant et a son rôle à jouer dans la chaîne de la vie, mais les responsabilités ne sont pas les mêmes. Et les humains sont un cas à part. On ne naît pas humain, on est chargé de le devenir. Et on le devient en interagissant de façon humaine avec les autres et avec la nature. L’humain est ce vivant particulier qui fait du cosmos un être conscient. C’est une immense tâche qui valorise quiconque l’accomplit bien. Une sorte de valeur que n’a pas l’oiseau.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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